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d'Ambre Fuentes    17 octobre 2011

Cette année, vous aurez peut-être remarqué au centre de l'affiche des journées du patrimoine un bâtiment insolite, pas (assez) connu : la villa Noailles. L'endroit commence à réellement faire parler de lui — pour preuve, l'affiche nationale, et pour cause : la villa est au cœur de l'effervescence surréaliste dans les belles années du mouvement artistique et littéraire. Ses propriétaires, les Noailles, s'engagent dans un mécénat prolifique, qui marque l'avant-garde de cette première moitié du XXe siècle. Ils font travailler et reçoivent, parmi bien d'autres, Giacometti, Dali, Man Ray (qui y tourne les Mystères du château du Dé), Luis Buñuel (à qui ils commandent le très controversé Âge d'or), Gide, Guévrékian…

Que sait-on aujourd'hui de cette villa ?

Construite à partir de 1924 sur les restes d'un monastère cistercien, sur le terrain offert à Charles par sa mère en guise de cadeau de mariage, la villa s'étend en 1932 sur plus 1800 m², avec 600 m² de terrasse ouverts à la lumière et à l'infini bleu de la méditerranée. Charles choisit, après avoir traité du sujet avec Le Corbusier (les traces de leur correspondance laissant entendre l'incompatibilité entre les goûts de Charles et le déterminisme de l'architecte), de choisir Rob Mallet-Stevens pour construire ce que l'on appellera plus tard et de façon éphémère, le château Saint Bernard. Ce château d'un nouveau genre, absolument insolite et moderne, se découpe sur les collines où les enceintes majestueuses d'un château « plus classique » demeurent.

Mallet-Stevens imagine un bâtiment construit autour d'un axe central, en haut duquel se situerait un belvédère. Celui-ci sera construit, puis détruit : Charles lui reproche d'être « trop architectural » ; il n'offre rien de plus à la villa qu'une vue supplémentaire basée sur un trop-plein de verticalité. Et il est vrai qu'au début de sa construction, la villa, ingénieusement pensée, se veut surtout utile, et non, futile. Un salon de lecture, une salle à manger, une chambre et une salle de bain pour madame — même chose, en symétrie, pour monsieur. Puis viennent s'ajouter, au fur et à mesure des agrandissements qui ne cesseront pas jusqu'en 1932, les chambres d'amis, les chambres des employés, le salon rose où travaille Charles, et où ils reçoivent leurs invités, la piscine, le gymnase, le squash, la chambre de plein air… Toutes ces pièces qui vont faire de la villa un lieu tout à la fois pratique et labyrinthique, dépouillé et complexe. Les interventions de différents penseurs de la matière vont faire du lieu un emblème d'ingéniosité : les baies vitrées escamotables, le plafond de verre qui fait d'une pièce aveugle (le salon rose) une pièce lumineuse, le jardin cubiste de Guévrékian dont la forme rappelle un bateau, et où la statue de la Joie de vivre (disparue aujourd'hui), pointe directement la mer.

Si la villa a des airs froids et imposants, le jardin en restanque, sous le formidable mur troué de fenêtres cinématographique du parvis, dédale de végétation qui conduit au centre historique de la ville, au contraire, contient toute la chaleur des lieux luxuriants baignés de soleil. Et ça sent terriblement bon.

 

Chaque année, la villa perpétue l'esprit des Noailles, mécènes avant-gardistes et ancrés dans la vie moderne, avec des expositions (photographie et architecture) et des festivals (festival international de mode et de photographie, festival international de Design) qui mettent à l'honneur la jeune création. Elle vit au rythme des ateliers pour enfants et des résidences d'artistes, au rythme de manifestations tel que le Midi festival.

C'est étonnant de voir la façon dont les choses évoluent, se restaurent, sont restaurées et instaurées, comment les lieux revivent. Le 18 septembre avait lieu à Toulon l'inauguration du théâtre Liberté, nouvelle scène nationale, dont les directeurs servent déjà la renommée : Charles et Philippe Berling. Après le buffet offert par la ville et le concert où l’on a pu voir et entendre, entre autres, Alain Chamfort et Tchéky Karyo, le groupe F a « mis le feu » à la place. Pas de feux d'artifice, pas vraiment, pas de parades colorées, mais des flammes, de la chaleur sur les joues du public, une mise en scène à la fois drôle et stricte, dégantée, et sérieuse. Entre la platine et le violon.

On a eu chaud, on a aimé, on a été surpris, on a applaudi : ouf, les choses changent. Ouf, la région commence à vivre d'un autre souffle, non pas parisien, comme on le dit si facilement, mais méditerranéen — car la mer a encore beaucoup à nous à apprendre de son mistral qui embrase les esprits. Un nouveau souffle. À puiser dans l'ancien.